Les rapports des parlements au public caractérisent
l'identité de l'institution « parlement » et, ainsi, la
culture démocratique du système politique concerné. La
question de savoir quels résultats ou procédures de travail
parlementaires doivent être rendus publics et lesquels ne doivent pas
l'être constitue un des sujets de débat sur les règlement
internes des parlements, ainsi que des théories du parlementarisme
et, plus généralement, des théories politiques. D'un
côté, l'on trouve le discours refusant l'extension du public
parlementaire, car les parlements craignent pour leurs membres des conséquences
négatives, pour la rationalité de leur travail un préjudice
ou la diminution du prestige du système politique qu'ils représentent.
De l'autre côté, l'on souhaite avoir plus de public dans l'espoir
d'effets positifs sur la carrière des parlementaires, de soutien public
aux efforts d'émancipation des parlements ou d'acceptation accrue du
système politique par plus de transparence. Depuis que les mass medias
se développent, ces réflexions se trouvent au centre des systèmes
politiques des sociétés occidentales. Dans ma thèse,
je voudrais essayer de reconstituer les réflexions portant sur la conscience
de soi des trois cas considérés, ce par une analyse historique
et sociologique des relations entre les parlements et les mass medias. L'objet
concret est l'autoreprésentation des parlements à la télévision
et sur Internet. L'analyse de medias traitera trois dimensions :
1) La dimension
de la production de public par les institutions concernées. Ici,
je voudrais répondre à des questions comme par exemple: quels
acteurs définissent le public parlementaire, quels mécanismes
institutionnels développe-t-on pour présenter les parlements
au public, quels résultats et quels procédures de travail
parlementaires sont-ils montrés (et lesquels ne le sont pas)? Sur
le plan méthodologique, c'est ici une analyse institutionnelle, s'appuyant
sur des données obtenues de façon qualitative et empirique
qui est prévue.
2) La dimension de l'analyse textuelle. Ici, je compte examiner la façon
dont est esthétiquement et narrativement présenté ce
que l'on peut voir des parlements. Où sont disposées les caméras
dans l'enceinte des parlements? Quels extraits des débats parlementaires
montre-t-on? De quelle façon le "mode narratif" choisi positionne-t-il
le public qu'il souhaite avoir? Quelles différences existe-t-il entre
les medias télévision et Internet? C'est ici que j'utiliserai
les théories et méthodes de l'analyse littéraire et
des sciences de la communication.
3) La dimension du système médiatique. Par le changement technologique
ainsi que par le développement institutionnel du paysage médiatique,
l'environnement des parlements change et, donc, leurs stratégies
face aux medias. Ici, les questions intéressantes sont : comment
se comportent la logique du système politique et du système
médiatique l'une envers l'autre, quels effets a sur l'autoreprésentation
des parlements un changement structurel du public médiatique? Pour
ce faire, je prévoie des analyses menées à l'aide de
la théorie des médias et de la théories des systèmes.
Ces dimensions générales fourniront le cadre de l'analyse
historique et sociologique. Cependant, chacun des trois cas implique l'étude
de points qui leur sont particuliers, vu des situations de départ
très différentes (pour ne pas dire opposées):
En France, l'influence politique de l'Assemblée nationale a été
considérablement diminuée par la constitution de la Ve République.
Depuis les années 90, cette situation a quelque peu changé
du fait de reformes constitutionnelles. Reste toutefois la question fondamentale
de savoir comment la perte de signification de cette institution, qui a
joué un rôle si important dans la tradition philosophico-politique
française, se reflète dans la conscience qu'elle a de soi
et son autoreprésentation publique.
Dans le cas allemand, la situation de 1949 était différente:
la tradition anti-parlementaire en Allemagne devait être surmontée.
En même temps, pour la première fois, les Allemands pouvaient
voir ce qui se passait au sein même d'un parlement dédaigné.
Comment peut-on évaluer l'essai du Bundestag d'utiliser les mass
medias pour augmenter l'acceptation du parlement et, ainsi, celle du système
parlementaire?
Dans le cas du parlement européen, il faut encore - au contraire
de cas nationaux, où les parlements peuvent toujours compter sur
un public déjà existant - construire un public européen.
Quelles sont ici les conditions de production du public par les mass medias?
Mon hypothèse principale (développée avant tout pour
le cas allemand) est que les parlements sont passés d'une stratégie
de défense contre les medias, destinée à protéger
l'arcanum politique, à la position contraire selon laquelle une grande
présence du parlement dans les medias est désirable. Je ne
présuppose donc pas simplement que la politique est devenue plus
transparente, mais aussi que les parlements ont l'intention de susciter
l'impression qu'ils travaillent toujours de façon routinière.
Si cette hypothèse est juste, elle signale alors que la position
du système politique dans la société a changé.
Sur le plan théorique, la thèse se propose de contribuer à
la compréhension non seulement du rapport entre politique et medias,
mais aussi des conditions médiatiques dans lesquelles la politique
postmoderne fonctionne.